(i can't drown my demons, they know how to swim) thybalt

Échec et mat. Le roi était renversé, le jeu d'échec initié avec minutie avait porté ses fruits. Les pièces étaient tombées et l'acte final fût dévoilé. Le verdict était tombé en sa faveur, tirant un imperceptible sourire en coin, coulant un regard au visage déconfit de la partie adverse ou plutôt à celui qui était son cadet et qui venait de perdre une bataille dans cette guerre interminable. Il éprouvait une intense satisfaction, attrapant la mallette dans laquelle il rangeait ses dossiers. L'affaire était une de plus, classée dans son esprit, se concentrant sur la prochaine qu'il devait mener d'une main de fer. Il était confiant, assurance qui transparaissait dans son attitude, quittant la salle du tribunal, revigoré par le choix du jury qui était amplement en sa faveur. Un coup d'oeil derrière lui et la silhouette de son frère s'esquissait, le visage impassible mais dans ses prunelles brûlaient une colère noirâtre qui démontrait la haine ressentie pour son aîné, pour cette victoire qui n'avait été qu'une brève illusion dans son esprit.

La compétition avait toujours fait partie du quotidien des deux Reaghan depuis leur plus tendre enfance. Cadet qui avait su vivifié davantage l'intérêt de ses parents que l'aîné qui restait sans arrêt dans l'ombre. Il jalousait cet intérêt, les regards admiratifs posés sur son frère quand lui on ne faisait que murmurer avec désapprobation dans son dos. Pourtant, il réussissait, aussi bien que son frère, même parfois mieux que ce dernier, mais il semblait que les dés avaient été jetés dès la naissance du frangin. La préférence avait glissé sur le second plutôt que le premier. Sans arrêt, Thybalt avait tenté de prouver sa valeur, de vendre ses mérites, par des notes excellentes et un caractère discipliné et passionné, mais rien n'y faisait, il restait toujours dans l'ombre, malgré ses nombreuses tentatives.

Les deux frères baignaient dans la même passion, la même envie. La justice était le maître mot, vue cependant de manières différentes. Le cadet était prompt à défendre les criminels, à leur laisser un seconde chance et à leur offrir ainsi cette liberté qu'ils espéraient obtenir avec son aide. Thybalt voulait les écrouer, les voir pourrir dans leur cage, voir la liberté filer entre leurs doigts, que la lumière ne soit plus qu'une utopie, qu'ils regrettaient chaque instant leur passé où ils foulaient le béton plutôt que la terre de leurs pas aigris. La fraternité n'existait plus, elle n'avait d'ailleurs jamais exister. Ils se battaient ardemment l'un contre l'autre comme des ennemis, des connaissances, mais pas comme la famille, car si le même sang coulait dans leurs veines, ils étaient en tout point différents et la haine était le facteur premier de leur relation. L'attachement s'était perdu au fil des années, à cause de la jalousie, de l'envie de l'ambition et de la préférence. Le gouffre s'était creusé entre eux et les émotions étaient devenues irrécupérables, trop formelles, trop détachées.

Il détournait les yeux du cadet, se faufilait dans le couloir pour rejoindre l'extérieur. Une journée idéale, baignée d'une lumière chatoyante et printanière. Ses doigts s'enfonçaient dans l'une des poches de la veste de son costume sombre, en extrayant ce paquet qui contenait son poison quotidien. En seulement quelques gestes, la cigarette s'échouait sur ses lèvres, un filet grisâtre s'échappait de ces dernières pour s'effacer dans la brise légère. Et il quittait les marches, sans un regard en arrière, devant travailler sur cette autre affaire avec cette flic aussi exaspérante qu'efficace dans son domaine qui n'avait cesse de vouloir obtenir son infiltration. Il la refusait toujours du bout des lèvres même si son avis n'était que véritablement secondaire sur la question, que la raison de ce refus restait obscure. Au plus profond de lui-même, il la protégeait juste pour également une raison qui lui était obscure, aveugle sur des émotions qu'il n'aurait du ressentir et qui pourtant existaient, dans son coeur calciné.